BERNARDUS PEIROTAS

BERNARDUS PEIROTAS

Par Guy PEIROTES, version du 26 mai 2011  MAJ du 3 février 2017

La référence la plus ancienne à la famille Peirotes que j’ai pu trouver remonte à Bernard Peirotes (alias Bernardus Peirotus ou Peirotas ), prêtre à Lodève, qui figure  parmi un certain nombre de condamnés  ayant fait  l’objet d’un jugement rendu en 1323 par l’Inquisition de Lodève pour hérésie de Béguinage. Ce jugement fut rendu  du temps du Pape Jean XXII, pape fanatique et usurier nommé en 1316, qui ne songea qu’à accroître ses richesses et déféra de nombreux savants à l’Inquisition. Il sévit particulièrement contre les Spirituels et les Béguins.

Rappelons que le Béguinage en Languedoc était considéré par l’Eglise Catholique au 14ème siècle comme une hérésie schismatique, un peu comme une survivance du  Catharisme  du début du 13ème siècle. L’Eglise voulut donc également extirper cette doctrine. Les Béguins vénéraient un père franciscain  Pierre Olivi de Narbonne (mort en 1298) qui prônait la pauvreté et professait une conception apocalyptique de l’histoire. Les Béguins, tout comme les Cathares, condamnaient  le faste et la richesse des hauts prélats de  l’Eglise Catholique officielle. Ils ne pouvaient donc qu’être persécutés par la Papauté et l’Inquisition. Leur persécution commença en 1314  et plus d’une centaine finirent sur les buchers de Narbonne, Toulouse, Carcassonne et Lodève. Ces buchers étaient source de reliques ramassées clandestinement et vénérées par les populations qui considéraient ces Béguins brulés comme des martyres et des saints et qui risquaient ainsi d’ailleurs d’être poursuivis pour béguinage !

Bernard Peirotas était un des béguins les plus actifs du mouvement, circulant beaucoup dans la région entre Montpellier, Carcassonne, Béziers et Lodève et prêchant donc la « bonne parole ».  Il ne pouvait donc qu’être condamné.

Son jugement en latin fait partie du registre de l’Inquisition de Carcassonne 1323/1327 traitant de Lodève, Pamiers et Carcassonne (Manuscrit DOAT 28 de la Bibliothèque Nationale de Paris section Lodève 2 juillet 1323). L’Inquisiteur en charge du procès de Lodève était Jean de Beaune.

La partie concernant plus particulièrement Bernard Peirotas se trouve en pages 14 à 17 du registre pour l’accusation et en page 22 pour sa condamnation.

L’acte d’accusation méritait bien une traduction car il est vraiment symptomatique, comme on va le constater ci-dessous, de l’esprit du Moyen Age :

« Bernard Peirotes, prêtre à Lodève, a été convoqué et interrogé par les vicaires de Monseigneur l’Evêque de Lodève et par l’Inquisiteur en tant que suspect de participation au mouvement des Béguins et de partage de leurs erreurs et de leurs hérésies. Il a nié sous serment avoir fait quoi que ce soit. A la fin, ayant pris la fuite, il a été retrouvé à Montpellier et ramené devant l’Inquisiteur en l’année de notre Seigneur 1321, à la fête d’hiver de Saint Martin, étant fortement suspecté des errements ci-dessus décrits. Soumis à un procès judiciaire, il a abjuré toute croyance et complicité avec les hérétiques, ainsi que leur protection, en particulier avec les Béguins et les membres du troisième ordre de Saint François condamnés pour hérésie. Il a abjuré toute mauvaise doctrine et promis de poursuivre tous les hérétiques ainsi que leurs sympathisants et protecteurs. Il a promis également de capturer ou d’aider à la capture d’hérétiques en fuite. Son serment et son abjuration ont eu lieu dans la forme requise.

Ensuite, en l’an du Seigneur 1322 et le 20 juillet, le même Bernard, arrêté pour la même forte suspicion par les vicaires de Monseigneur l’Evêque de Lodève, comme nous l’avons appris d’une manière légale par sa confession faite dans son procès judiciaire, dit qu’il y avait environ un an qu’une certaine personne, qu’il nomme, lui montra un cœur humain qui était dit provenir d’un des Béguins brulé à Lunel pendant les fêtes de Luc l’Evangéliste le béni , en l’an 1321de notre Seigneur. Il a vu ce cœur à Clermont après avoir abjuré à Montpellier, car à la fête de Saint Martin, le jour où il abjura, il lui fut ordonné de retourner au Diocèse de Lodève avant 15 jours et de ne pas quitter les lieux sans une permission spéciale, ce qu’il fit. Et après être resté à Lodève environ trois semaines il retourna à Montpellier avec la permission du vicaire de l’Evêque pour rapporter ses vêtements. Il passa à Clermont en allant et revenant de Montpellier et c’est là qu’il vit le cœur. Il pense que c’est en allant à Montpellier plutôt qu’en revenant.

Il dit qu’il voulait avoir le cœur pour le vénérer car il entendit que ces personnes avaient été condamnés injustement, ce qu’il crût car il connaissait leur vie sainte et leur comportement et parce que, comme il dit, ils souffraient de persécution du fait de la méchanceté de membres des Frères Mineurs, des Frères Prêcheurs et d’autres, comme il le croyait alors. Quand il demanda une partie du cœur, il croyait que ces gens et d’autres, Frères Mineurs et Béguins, exécutés à Marseille, Béziers, Lodève et ailleurs, étaient injustement condamnés.

 

Il continua dans cette croyance depuis le moment où les quatre frères furent brulés à Marseille jusqu’au moment où il fut capturé pour la dernière fois à Lodève en l’an du seigneur 1322 et le 20 juillet, surtout parce qu’il voyait, comme il le dit, que les Frères Spirituels Mineurs vivant à Narbonne et Béziers, dont faisaient partie les quatre brulés à Marseille, étaient considérés comme des hommes de biens et avaient beaucoup de suiveurs. Pour cette raison il fut induit à croire ce qui précède. A la question posée de savoir si après avoir été repris la dernière fois, il maintenait toujours la même croyance, il dit que non, bien qu’après avoir été jeté en prison, il était tristement tenté de le croire et n’était pas sûr de croire si les personnes citées étaient des martyres glorieux injustement condamnés ou le contraire. C’est ce qu’il dit au geôlier, mais il ne persista pas dans cette croyance à propos des condamnés, du moins c’est ce qu’il dit.

Encore il confessa que quand il crût qu’ils avaient été injustement condamnés, il crût que les croyances pour lesquelles ils avaient été condamnés contenaient des vérités.

Encore il dit qu’il entendit de certains des condamnés que les prélats et d’autres, promus à des hautes positions ecclésiastiques vivaient trop largement et splendidement, jouissant d’une manière excessive des plaisirs temporels et que pour cette raison le pouvoir spirituel qu’ils exerçaient en vertu de leurs ordres n’avait plus la même efficacité qu’il avait avant quand ils vivaient dans la pauvreté et se comportaient d’une manière humble. Le ci-devant Bernard adhérait à ces propos et continua d’y adhérer, dit-il, bien qu’après son arrestation il abandonna d’y adhérer, dit-il.

Encore il dit que quand le groupe de Béguins le plus récent fut exécuté à Béziers, c'est-à-dire dans l’année du Seigneur 1321 le dimanche de l’octave de l’Epiphanie, Bernard alla à Béziers avec certaines personnes, qu’il nomme, pour voir l’exécution. Il arriva à Béziers le jour après l’exécution et dans la maison de Bernard Bosc il trouva Déodat, son fils, de même que Jean Canut, Hélion le fils d’Hélion le fabriquant de verre et certains autres qu’il nomme. Ils mangèrent là et alors Hélion, avec deux autres personnes qu’il nomme apporta à la maison des ossements et des cadavres des Béguins qui avaient été brulés le dimanche précédant. Ils donnèrent certains des ossements à Bernard et il vit quelqu’un, qu’il nomme, embrasser les ossements. Il les plaça tous dans un sac qu’il porta jusqu’à l’octave de la Purification de la Sainte Marie, ensuite les donna à quelqu’un qu’il nomme. Il dit qu’il reçut et porta ces ossements avec respect comme s’il s’agissait de reliques de saints martyrs.

Encore dans la maison de Bernard Bosc il vit et reconnut les habits des Béguins qui avaient été brulés. Quelqu’un qu’il nomme les avait portés depuis l’exécution par dévotion et les avait fait porte à Narbonne.

Encore il dit que pendant qu’ils étaient à Béziers ils entendirent qu’il y allait avoir une exécution de quelques Béguins à Agde, et ainsi ils s’y rendirent et se retrouvèrent dans une maison pour les pauvres avec certaines personnes qu’il nomme et ils parlèrent de ceux qui avaient été brulés, commentant leur probité et leur fidélité. De là il alla à Montpellier pour voir l’exécution de quelques Béguins qui devait avoir lieu là d’après ce qui se disait ; mais l’exécution n’eut pas lieu. Quand on lui dit qu’il risquait d’être arrêté il partit furtivement à Lodève après quinze jours où il se cacha pendant quelques jours. Plus tard il retourna à Montpellier où il resta environ sept mois. Ensuite il rendit visite à cinq Béguins qui étaient tenus en la prison de l’Evêque de Maguelone. Il mangea avec eux deux ou trois fois en disant qu’il les visitait pour les consoler et les réconforter. Il dit qu’il les aimait et aurait voulu les voir libérés de prison compte tenu des bonnes vies qu’ils avaient, ou du moins c’est ce qu’il dit.

Encore, il dit que pendant le temps où il alla à Béziers, il passa par Agde et était dans la maison des pauvres avec certains Béguins qu’il nomme, et de là il alla à Pézenas, où il fut présent à la condamnation et au bucher des Béguins exécutés là. Bernard entendit, comme il le dit, que l’un des condamnés, du nom de Forneron de Florensac tint beaucoup de propos injurieux à Monseigneur l’Archevêque d’Agde, où c’est ce qui lui sembla. Bernard dit qu’il croyait alors que Forneron avait été injustement condamné, comme l’avaient été les autres.

Encore il dit librement et sans qu’on lui demande, que deux années s’étaient écoulées depuis sa confession, cependant un jour où il était à Narbonne il célébra son office journalier et nocturne pour les hérétiques qui avaient été brulés. En honneur de ces hérétiques il célébra l’office commun pour beaucoup de martyres. Il célébra aussi une commémoration spéciale pour ces hérétiques brulés. Il la célébra en vénération pour ces hérétiques. Et il connaissait quelqu’un, qu’il nomme, qui célébra une commémoration similaire. Il célébra cette commémoration lors de son office diurne et nocturne et en dehors après son abjuration, disant qu’il omit de le dire car il était chargé d’autres prières.

Encore il dit que six mois avant sa confession, c'est-à-dire après l’abjuration citée précédemment, que lui et quelqu’un qu’il nomme parlèrent à un certain endroit à Lodève –il fit cela de sa propre volonté- au sujet des Béguins condamnés ci-dessus. Ils étaient d’accord pour dire qu’ils étaient sauvés et injustement condamnés.

Encore il dit qu’il avait eu une conversation au sujet des Béguins condamnés à un autre endroit avec certaines femmes qu’il nomme et qu’ils (Bernard et ces femmes) considéraient les condamnés comme des martyrs et des saints. Il dit aussi qu’il tenait aussi fortement à cette opinion qu’il souhaitait que tous ceux qui pensaient le contraire soient morts, cependant à condition qu’ils soient sauvés.

Encore il dit que pendant qu’il était à Béziers une certaine personne qu’il nomme lui montra un petit livre en parchemin dans lequel étaient écrits tous les noms de Béguins qui avaient été brulés.

Encore, quand il était à Montpellier, il reçut en pleine connaissance dans sa chambre et dina avec beaucoup de Béguins fugitifs qui furent condamnés plus tard.

Encore il entendit les condamnés considérés et appelés saints martyrs par beaucoup de personnes qu’il nomme.

Encore il savait qu‘au moment où les Béguins furent exécutés à Lunel une certaine personne qu’il nomme envoya des lettres à une certaine personne à Lodève qu’il nomme contenant parmi d’autres choses une exhortation à venir et à voir les soldats ou les martyrs combattant la juste cause et d’autres choses de cette nature.

Il cacha tout cela en dépit de son propre serment et ne révéla rien de cela jusqu’à ce qu’il se fit arrêter. Il dit, cependant, qu’il se repent de toutes ces choses et veut se soumettre lui-même à la correction de la sainte église aussi bien qu’au Maître Inquisiteur et à ses vicaires. Il demande que la grâce de l’absolution et le bénéfice de la miséricorde lui soit donnés. »

Le jugement de condamnation de Bernardus Peyrotas avec sa sentence n’est malheureusement pas complet, un certain nombre de feuillets ont été perdus (voir page 22). Ce n’est que plus loin dans le registre que l’on découvre que le pauvre Bernard fut finalement condamné au bucher et exécuté donc en 1323 (sans doute le 10 août) après le jugement du 2 juillet 1323. En effet dans un acte  d’accusation du 1er mars 1327 à Carcassonne il est fait référence à un condamné qui a reçu dans sa maison Bernardus Peirotas "qui a été brulé plus tard à Lodève" (« qui postea fuit combustus in Lodova ».

Toujours dans ce même registre de l’Inquisition, on trouve un personnage du nom de Mathias Peyrota, petit fils de Me Arnaud Morlane. Ferait-il partie de la famille (page 85) ?

 

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